
Est-ce que les gens heureux vivent plus longtemps? Et sinon, à quoi ça sert d’être heureux, à part pour cet agréable sentiment qui nous fait sourire?
La question vaut la peine d’être posée. Nous savons tous qu’être heureux est plus agréable à ressentir qu’être malheureux. Mais peut-on aller plus loin? Est-il possible que le bonheur ait aussi d’autres fonctions que de vivre un sentiment ponctuel agréable?
Les études en psychologie positive semblent bien pointer dans cette direction. Notamment, le fait d’avoir un niveau de bonheur élevé serait associé au fait de vivre plus longtemps. Pas négligeable comme lien, n’est-ce pas? L’une des études les plus célèbres en psychologie positive, la nun study, a été l’une des premières études à démontrer un lien entre le bonheur et la longévité. Cette étude est intéressante parce que les chercheurs ont analysé les écrits que 180 femmes avaient rédigé avant de prendre le voile dans les années 1930. Au moment de l’étude, dans les années 1990, ces femmes, désormais religieuses, étaient âgées en moyenne de 83 ans.

Pourquoi étudier des religieuses? En fait, c’est là que cette étude était particulièrement innovante. L’un des problèmes lorsqu’on étudie le bonheur, c’est qu’il existe tellement d’éléments (variables) qui peuvent l’influencer qu’il est impossible pour les chercheurs de tout contrôler pour être bien certain que leurs résultats sont attribuables à tel élément plus qu’à tel autre. Avez-vous beaucoup d’amis? Une famille unie? Un bon niveau de revenus? Des animaux de compagnie? Quel est votre niveau d’études? Aimez-vous votre emploi? Bougez-vous régulièrement? Avez-vous une alimentation équilibrée? Tous ces éléments (et une multitude d’autres!) pourraient influencer votre niveau de bonheur. Il est donc difficile, si on vous fait passer un sondage ou une expérimentation pour mesurer votre niveau de bonheur, de savoir lesquels de ces éléments peuvent expliquer votre résultat. C’est la raison pour laquelle des études en laboratoire deviennent intéressantes, car les chercheurs ont davantage de contrôle sur ce à quoi les gens sont exposés.On peut, par exemple, mesurer le niveau de bonheur des gens, leur faire vivre une expérience plaisante et ensuite mesurer à nouveau leur niveau de bonheur et voir si le résultat a changé. Si tel est le cas, on peut conclure que l’expérience plaisante semble être associée à un changement du niveau de bonheur. Mais comme l’expérience a été faite en laboratoire, on ne peut pas être certains lorsque l’on conclue que cela est aussi vrai quand la personne est dans son quotidien.
C’est pour pallier une partie de ces problèmes de mesure que les chercheurs ont pensé à étudier des religieuses issues de certains ordres. En effet, les ordres ont leurs propres règles qui définissent un style de vie. Les religieuses d’un même ordre sont exposées à un niveau d’alimentation, d’exercice, d’instruction, de socialisation assez semblable. Elles boivent une quantité comparable d’alcool, ne sont pas en couple, n’ont pas d’enfants, etc. Leur niveau de vie est donc beaucoup plus similaire que celui de 2 personnes prises au hasard dans la population générale.
Les chercheurs ont donc considéré que les différences de longévité entre les religieuses devaient être attribuables à autre chose que leur style de vie. En excluant la génétique qui, bien sûr, joue un rôle, les chercheurs ont voulu mesurer si le niveau d’émotions positives des religieuses AVANT de prendre le voile, donc lorsqu’elles étaient dans la vingtaine, pouvait être relié à leur longévité. Pour mesurer le niveau d’émotions positives dans la vingtaine de personnes qui avaient désormais autour de 80 ans, les chercheurs ont analysé les textes que ces femmes avaient rédigé avant de prendre le voile. En tout 180 religieuses ont participé à cette expérience.
Dans son livre, Vivre la psychologie positive, Martin Seligman présente les cas de soeur Cécilia et de soeur Marguerite (noms fictifs) pour illustrer les différences d’émotions positives qui pouvaient être repérées dans les écrits de ces religieuses.
Soeur Cécilia : “Dieu a commencé ma vie en m’accordant une grâce de valeur inestimable… L’année dernière, que j’ai passée à étudier Notre-Dame, a été très heureuse. Maintenant, j’attends avec une joie impatiente de revêtir le saint habit de Notre-Dame et de mener une vie d’union avec l’amour divin.”
Soeur Marguerite : “Je suis née le 26 septembre 1909, l’aînée d’une famille de sept enfants : cinq filles et deux garçons… J’ai passé mon année en tant que novice dans la maison familiale, j’ai enseigné la chimie et le latin à l’institut Notre-Dame. Avec la grâce de Dieu, j’ai l’intention de faire de mon mieux pour notre ordre, pour la diffusion de la religion et pour ma sanctification personnelle.”

Si je vous demandais, de ces deux discours, lequel vous semble le plus enthousiaste? Lequel semble véhiculer le plus d’émotions positives?
Soeur Cécilia a utilisé des mots comme “très heureuse”, “joie impatiente” et “vie d’union avec l’amour divin”. Soeur Marguerite a toutefois un discours beaucoup plus neutre. Elle relate des faits et aborde son souci de faire de son mieux.
Est-ce que ces discours peuvent permettre de prédire laquelle des deux soeurs vivra le plus longtemps? Surprenamment, la réponse est oui! Et cela s’est confirmé pour la plupart des discours que les chercheurs ont analysés. Plus le discours contenait des émotions positives, plus la religieuse avait de chances d’être encore vivante et en santé au moment de l’étude. En effet 54% des religieuses les plus joyeuses étaient encore vivantes à 94 ans, contre 11% des moins joyeuses.
Qu’est-ce que cette étude peut nous apprendre dans notre vie de tous les jours?
Notre niveau d’émotions positives semble influencer notre santé et notre longévité. Prendre soin de soi et de sa santé mentale est donc tout aussi important que de prendre soin de sa santé physique! En ce sens, il est important de s’attacher à mettre des choses en place pour favoriser notre niveau de bonheur. Plusieurs stratégies existent en ce sens qui feront l’objet d’autres billets. Le message important aujourd’hui, c’est que de mettre votre bonheur en priorité est une bonne façon de prendre soin de vous. Peut-être y a-t-il des éléments dans votre vie qui vous irritent, vous causent de l’inconfort ou de la détresse. L’idée ici n’est pas nécessairement de vous détacher complètement de ces éléments. Tout dépendant de votre situation, cela peut être nettement plus compliqué. Mais reconnaître qu’il y a quelque chose qui nuit à votre bonheur est déjà un premier pas pour amorcer la réflexion pour comprendre ce qui pose problème et ensuite envisager des stratégies pour le régler.
Danner, D., Snowdon, D. et Friesen, W. (2001). Positive Emotions in Early Life and Longevity : Findings from the Nun Study. Journal of Personality and Social Psychology, 80. 804-813. https://www.apa.org/pubs/journals/releases/psp805804.pdf
Seligman, M. (2002). Vivre la psychologie positive : Comment être heureux au quotidien. Pocket : Paris. https://www.amazon.ca/gp/product/226622610X/ref=as_li_qf_asin_il_tl?ie=UTF8&tag=consultoption-20&creative=330641&linkCode=as2&creativeASIN=226622610X&linkId=d2a33b671bd4b66edd1a2ec232aa12b0